Lingua   

Plus belle que les larmes

Louis Aragon
Lingua: Francese




J’empêche en respirant certaines gens de vivre
Je trouble leur sommeil d'on ne sait quels remords
Il paraît qu'en rimant je débouche les cuivres
Et que ca fait un bruit à réveiller les morts

Ah si l'écho des chars dans mes vers vous dérange
S'il grince dans mes cieux d'étranges cris d'essieu
C'est qu'à l'orgue l'orage a détruit la voix d'ange
Et que je me souviens de Dunkerque Messieurs

C'est de très mauvais goût j'en conviens Mais qu'y faire
Nous sommes quelques-uns de ce mauvais goût-là
Qui gardons un reflet des flammes de l'enfer
Que le faro du Nord à tout jamais saoula

Quand je parle d'amour mon amour vous irrite
Si j'écris qu'il fait beau vous me criez qu'il pleut
Vous dites que mes prés ont trop de marguerites
Trop d'étoiles ma nuit trop de ciel bleu mon ciel bleu

Comme le carabin scrute le cœur qu'il ouvre
Vous cherchez dans mes mots la paille de l'émoi
N'ai-je pas tout perdu le Pont-Neuf et le Louvre
Et ce n'est pas assez pour vous venger de moi

Vous pouvez condamner un poète au silence
Et faire d'un oiseau du ciel un galérien
Mais pour lui refuser le droit d'aimer la France
Il vous faudrait savoir que vous n'y pouvez rien

La belle que voici va-t'en de porte en porte
Apprendre si c'est moi qui t'avais oubliée
Tes yeux ont la couleur des gerbes que tu portes
Le printemps d'autrefois fleurit ton tablier

Notre amour fut-il feint notre passion fausse
Reconnaissez ce front ce ciel soudain troublé
Par un regard profond comme parfois la Beauce
Qu'illumine la zizanie au cœur des blés

N'a-t-elle pas ces bras que l'on voit aux statues
Au pays de la pierre où l'on fait le pain blond
Douce perfection par quoi se perpétue
L'ombre de Jean Racine à la Ferté-Milon

Le sourire de Reims à ses lèvres parfaites
Est comme le soleil à la fin d'un beau soir
Pour la damnation des saints et des prophètes
Ses cheveux de Champagne ont l'odeur du pressoir

Ingres de Montauban dessina cette épure
Le creux de son épaule ou! s'arrête altéré
Le long désir qui fait le trésor d'une eau pure
A travers le tamis des montagnes filtré

O Laure l'aurait-il aimée à ta semblance
Celle pour qui meurtrie aujourd'hui nous saignons
Ce Pétrarque inspiré comme le fer de lance
Par la biche échappée aux chasseurs d'Avignon

Appelez appelez pour calmer les fantômes
Le mirage doré de mille-et-un décors
De Saint-Jean-du-Désert aux caves de Brantôme
Du col de Roncevaux aux pentes du Vercors

Il y a dans le vent qui vient d'Arles des songes
Qui pour en parler haut sont trop près de mon cœur
Quand les marais jaunis d'Aunis et de Saintonge
Sont encore rayés par les chars des vainqueurs

Le grand tournoi des noms de villes et provinces
Jette un défi de fleurs à la comparaison
Qui se perd dans la trace amoureuse des princes
Confond dans leur objet le rêve et sa raison

O chaînes qui barraient le ciel et la Durance
O terre des bergers couleur de ses raisins
Et Manosque si doux à François roi de France
Qu'il écrivit son nom sur les murs sarrasins

Moins douce que tu n'es ma folle ma jalouse
Qui ne sait pas te reconnaître dans mes vers
Arrêtons-nous un peu sur le seuil de Naurouze
Où notre double sort hésite entre deux mers

Non tu veux repartir comme un chant qui s'obstine
Où t'en vas-tu Déjà passé le Mont Ventoux
C'est la Seine qui coule en bas et Lamartine
Rêve à la Madeleine entre des pommiers doux

Femme vin généreux berceuse ou paysage
Je ne sais plus vraiment qui j'aime et qui je peins
Et si ces jambes d'or si ces fruits de corsage
Ne sont pas au couchant la Bretagne et ses pins

Gorgerin de blancheur où ma bouche mendie
Cidre et lait du bonheur Plénitude à dormir
Pour toi se crèveront secrète Normandie
Les soldats en exil aux ruines de Palmyre

Je ne sais plus vraiment où commencent les charmes
Il est de noms de chair comme les Andelys
L’image se renverse et nous montre ses larmes
Taisez-vous taisez-vous Ah Paris mon Paris

Lui qui sait des chansons et qui fait des colères
Qui n'a plus qu'aux lavoirs des drapeaux délavés
Métropole pareille à l'étoile polaire
Paris qui n'est Paris qu'arrachant ses pavés

Paris de mes malheurs Paris du Cours-la-Reine
Paris des Blancs-Manteaux Paris de Février
Du Faubourg Saint-Antoine aux coteaux de Suresnes
Paris plus déchirant qu'un cri de vitrier

Fuyons cette banlieue atroce où tout commence
Une aube encore une aube et peut-être la vie
Mais l'Oise est sans roman la Marne sans romance
Dans le Valois désert il n'est plus de Sylvie

Créneaux de le mémoire ici nous accoudâmes
Nos désirs de vingt ans au ciel en porte-à-faux
Ce n'était pas l'amour mais le Chemin des Dames
Voyageur souviens-toi du Moulin de Laffaux

Tu marches à travers des poussières fameuses
Poursuivant devant toi de pays en pays
Dans la forêt d'Argonne et sur les Hauts-de-Meuse
L'orient d'une gloire immortelle et trahie

Comme un chevreuil blessé que le fuyard fléchisse
L'œil bleu des mares veille au sous-bois fléché d'or
Halte sur le chemin du banni vers la Suisse
Au pays de Courbet qu'aime la mandragore

Je t'ai perdue Alsace où quand le Rhin déborde
Des branches éblouis tombent droit les faisans
Où Werther a Noël pour un instant s'accorde
D'oublier sa douleur avec les paysans

L'orage qui sévit de Dunkerque à Port-Vendres
Couvrira-t-il toutes les voix que nous aimons
Nul ne pourrait chasser la légende et reprendre
La bauge de l'Ardenne aux quatre fils Aymon

Nul ne pourrait de nous chasser ce chant de flûte
Qui s'élève de siècle en siècle à nos gosiers
Les lauriers sont coupés mais il est d'autres luttes
Compagnons de la Marjolaine Et des rosiers

Dans les feuilles j'entends le galop d'une course
Arrête-toi fileuse Est-ce mon cœur trop plein
L'espoir parle à la nuit le langage des sources
Ou si c'est un cheval et si c'est Duguesclin

Qu'importe que je meure avant que se dessine
Le visage sacré s'il doit renaître un jour
Dansons ô mon enfant dansons la capucine
Ma patrie est la fin la misère et l'amour



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