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L’Année philosophique

Marco Valdo M.I.
Lingua: Francese



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L’Année philosophique

Lettre de prison 26
4 juin 1935

Dialogue Maïeutique

, les ancolies du fond du jardin (elles ont déjà souffert des orages et de la grêle)


D’une année à l’autre, les occupations du prisonnier Levi, isolé dans sa cellule, évoluent. Ainsi, dit Marco Valdo M.I., si lors de sa première incarcération, l’ambiance était poétique ; cette année (1935) serait philosophique.

Qu’est-ce que c’est cette histoire ?, dit Lucien Lane. D’où vient qu’il y ait eu une année poétique et une autre philosophique ? Serait-ce comme l’année du Chat, du Chien, de l’Ours ou pourquoi pas, de l’Âne ? J’avoue ne pas trop comprendre.

Et je te comprends, Lucien l’âne mon ami. Il faut se reporter aux conditions de ses séjours en prison et se souvenir que comme prisonnier politique, il est en isolement et que de ce fait, il dispose d’énormément de temps vide. Et comme le peintre ne peut pas peindre, ni dessiner ; comme l’écrivain ne peut écrire que de courtes lettres et encore, deux fois par semaine sur un papier réglementaire à la surface réduite et que de surcroît, ces écritures destinées à la famille sont passées au crible de la censure et à la lunette grossissante de la police politique. Bref, le prisonnier politique ne peut communiquer que très peu et sous contrôle. Au peintre et écrivain Levi, finalement, il ne reste que la lecture. La lecture, donc : la première année, il avait lu essentiellement des poètes ; cette fois, il s’attaque à la philosophie.

Ah, dit Lucien l’âne, je commence à comprendre le sens de ces ambiances, mais je ne saisis pas le pourquoi. Pourquoi une année comme ci, pourquoi une année comme ça ?

Pourquoi ?, Lucien l’âne mon ami, mais tout simplement parce que le régime carcéral limite le champ des possibles et réduit le choix aux ouvrages présents dans la bibliothèque de l’établissement, sans compter le rôle de l’aumônier distributeur. Parmi les livres possibles, d’autres tris viennent encore réduire le champ : la censure et le mode d’approvisionnement de la bibliothèque, le tout complété ou modulé par la personnalité et les horizons culturels du bibliothécaire. Ainsi, on trouve facilement des ouvrages religieux, des hagiographies, des opuscules édifiants ; par contre, il va de soi que – sauf erreur ou distraction – les livres « révolutionnaires » sont bannis. Pour le reste, vu par les autorités, s’en tenir aux classiques patentés ou à des ouvrages scientifiques ou didactiques est une sécurité.

Je perçois parfaitement la logique de cette politique d’encadrement, dit Lucien l’âne. Cependant, je n’y vois pas la réponse à ma question : la poésie, une année ; une année, la philosophie.

Oh mais, Lucien l’âne mon ami, du fait que le choix dans la bibliothèque, si réellement c’en est une, est assez limité et que Carlo Levi était un grand lecteur et son séjour se prolongeant, il était arrivé à épuiser le fonds poétique disponible qui pouvait tant soit peu l’intéresser et il avait dû se tourner vers les livres philosophiques. Au passage, j’attire quand même ton attention sur cette quasi-citation de Verlaine :

« Dans le ciel par-dessus le toit
Si haut, si bleu ».


Oui, je vois, dit Lucien l’âne, un souvenir de son séjour à la prison de Mons.

Mais incontestablement, Carlo Levi bouscule la perspective mélancolique et ouvre différemment, dynamiquement sur le monde. La prison n’est qu’une étape et n’est aussi qu’un lieu d’enfermement des corps ; la pensée se promène dans son propre univers extensible à l’infini et au-delà ; le chemin ne s’arrête pas là. Cette manière de philosopher « Tout change, tout a changé » est manière aussi d’affronter l’ennui qui meuble sournoisement les couloirs et les cellules de la prison. Et les réminiscences aussi une façon de se relier à l’ailleurs, hors d’atteinte des gardiens du monde. Et pour conclure, une pirouette en forme de comptine – sic transit :

« La condition humaine et les roses
Sont d’éphémères choses.
Dansez, chantez
Et embrassez le prisonnier. »


Je vois, je vois, dit l’âne Lucien en riant, je la connais celle-là :

« Entrez dans la danse
Voyez comme on danse.
Sautez, dansez,
Embrassez qui vous voudrez. »


C’est encore une fois un effet de l’art de l’ironie et de la dérision et de cette façon poétique de dire sans le dire, de laisser entendre. Cette fin met en perspective le Régime « éphémère chose ». Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde ennuyeux, fermé, triste, grossier, arrogant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ici, l’an dernier était poétique,
Ici, cette année est philosophique.
Ces jours sont des conditions
Idéales pour les méditations
Les plus théoriques.

Du temps à foison,
Aucun bruit, aucun trouble,
Aucune autre occupation,
Une totale concentration
Et les murs blancs de la cellule.

Dans le ciel par-dessus le toit
Si haut, si bleu
Les infinis en moi
Si beaux, si lumineux
Savent un monde au-delà.

Les espaces intérieurs et le temps
Sont infiniment grands
Tels des vases communicants,
Ils s’étendent autant
Qu’on resserre le présent.

Ces érudits penseurs,
Si précieux ici en prison,
Je les donnerais sans erreur
Pour un bouquet de fleurs
À peindre à ma façon.

Tout change, tout a changé
La condition humaine et les roses
Sont d’éphémères choses.
Dansez, chantez
Et embrassez le prisonnier.

inviata da Marco Valdo M.I. - 11/5/2019 - 11:53




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