Les Esclaves et les Soldats

Dialogue maïeutique


Des esclaves ?, s’étonne Lucien l’âne. Des esclaves en Zinovie, maintenant ? Les soldats, ça oui, je le savais, mais des esclaves ! Je pensais que l’esclavage avait disparu. Et en plus, j’ai l’impression que ce n’est pas quelque chose d’anecdotique, un cas particulier, en quelque sorte un fait divers qui sera bientôt réprimé par la justice.

Non, tu as raison, Lucien l’âne mon ami, ce n’est pas un phénomène minuscule, même s’il est bien caché. C’est du moins ce que rapporte le Veilleur dans le premier douzain de la canzone. Selon lui, dont le métier est de garder la nuit des entreprises, non seulement, il y a des esclaves, mais en plus, il y en a des milliers dans les usines et dans les chantiers de construction.

Qui sont-ils ?, demande Lucien l’âne. Et pourquoi ne les voit-on pas ?

Ce sont des gens qui viennent d’un pays étranger et peut-être même de plusieurs, répond Marco Valdo M.I. ; on les importe par cargaisons entières de pays « amis » de la Zinovie. Ce sont des travailleurs forcés, comme ces milliers de soldats veus d’ailleurs. En fait, on leur avait promis un vrai travail, un vrai emploi, un vrai salaire et puis voilà, ils sont très loin de chez eux et en plus, ils ne parlent pas la langue locale, ils ne connaissent personne, ni rien dans ce pays où on les a débarqués. Et, comme on peut l’imaginer, ils sont bien « encadrés », on les surveille et on ne les laisse pas sortir de leur lieu de travail ; littéralement, car ils y dorment aussi. On dirait des « prisonniers volontaires d’un camp de travail ». En plus, on les fait trimer comme des bêtes et on les traite ainsi aussi. Leurs journées sont très longues et leurs nuits très courtes. Tout ça, car la Zinovie manque de bras… Le Veilleur conclut :

« Les survivants seront bienheureux.
Un jour, on les renverra chez eux. »

Et les soldats alors, dit Lucien l’âne, qu’en est-il ?

Les soldats, répond Marco Valdo M.I., c’est un soldat revenu du front qui en parle. Lui aussi, il sait de quoi il cause. Il se plaint d’une tromperie de l’État. On l’avait convaincu qu’au retour du front , il serait libéré de l’armée, récompensé d’un logement, d’un emploi et on le renvoie à la guerre.

Au fait, dit Lucien l’âne, c’est sûr qu’à force de la faire, cette foutue guerre, la Zinovie finit par manquer d’hommes et de main d’œuvre ; d’où ces esclaves et ces soldats obligés.

C’est la pénurie, dit Marco Valdo M.I., et pas seulement de gens pour combler les trous de la guerre. Il y a aussi cette terrible peur qui rode, cette honte qui hante car la guerre s’impose à tous et à tout, elle touche toute la société et met à mal son économie et tout le fonctionnement social. La guerre est un cancer sociétal.

« À la guerre, on est tous condamnés ;
Des vieilles gens aux nouveaux-nés,
La guerre nous ronge de mois en mois »

Et que va faire le soldat qui raconte tout ça ?, demande Lucien l’âne. Il ne peut rester là.

Eh bien, dit Marco Valdo M.I., il ne veut plus y aller à cette guerre et il ne peut rester dans le pays. Alors, vois ce qu’il en dit :

« Je ne veux plus de la guerre en moi.
Je vais partir en voyage. »

Moi, dit Lucien l’âne, je ferais comme lui, je foutrais le camp.

Dans le dernier douzain, Lucien l’âne mon ami, revient notre ami Zorba le chat.

Ah, dit Lucien l’âne, Zorba le chat, moi, je l’aime bien. Je me demandais justement s’il allait venir.

Donc, l’ami Zorba le chat, reprend Marco Valdo M.I., revient et s’essaye à répondre à la question que tout le monde se pose à propos de cette guerre : pour quoi ? Et même, pourquoi ? Et sa réponse est nette, aussi nette que celle qu’avançait Karel Capek dans sa pièce « La Maladie blanche » ; une pièce écrite en 1937, où un dictateur veut à toute force faire sa « grande guerre historique ». Dans un pays sous dictature, c’est le Guide qui a voulu, préparé de longue date et ordonné la guerre. C’est lui aussi qui la fait durer et qui n’est pas près d’y mettre fin. Chez Capek, c’est la « maladie blanche » qui s’en charge.

Pourtant, les gens de Zinovie, si je me souviens bien, dit Lucien l’âne, n’en voulaient plus jamais de guerre.

Exact, dit Marco Valdo M.I., mais c’est compter sans le Guide et sa bande qui par la guerre se maintiennent au pouvoir, liquident et écrasent toute opposition. Il ne peuvent donc y renoncer. Dès lors, leur appétit de cadavres vient en mangeant.

« « Jamais plus ! », les vieux s’étaient promis,
Mais encore, l’Ogre a grand appétit. »

Que faire ?, demande Lucien l’âne. Que faire ? Que faire pour mettre fin à cette dérive épouvantable? Nous tout ce qu’on peut y faire, c’est continuer à raconter notre voyage au bout de la dictature. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde dictatorial, oppresseur, envahisseur, brutal et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane