Lingua   

Vitrines

Léo Ferré
Lingua: Francese


Léo Ferré


Des Cadillacs et des ombrelles,
De l’albuplast et des bretelles,
De faux dollars, de vrais bijoux :
Il y en a vraiment pour tous les goûts.
Des oraisons pour dentifrices,
Des chiens nourris qui parlent l’anglais
Et les putains à l’exercice
Avec leurs yeux qui font des frais,
De faux tableaux qui font la gueule
Et puis des vrais qui leur en veulent.
Des accordéons déployés
Qui soufflent un peu avant de gueuler ;
Des filles en fleurs, des fleurs nouvelles,
Des illustrés à bonne d’enfant
Et des enfants qui font les belles
Devant des mecs bourrés d’argent.

Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme dans les cœurs
À faire se lever le bonheur
Des fois qu’il pousserait dans les rues.

Les faux poètes qu’on affiche
Et qui se meurent à l’hémistiche,
Les vedettes à faits-divers,
Paroles de Jacques Prévert.
Les prix Goncourt que l’on égorge,
Les gorges chaudes pour la voix,
Les coupe-file et les soutiens-gorge
Avec la notice d’emploi.
Des chansons mortes dans la cire
Et des pick-up pour les traduire :
Le microsillon baye aux corneilles,
C’est tout Mozart dans une bouteille.
Le sang qui coule plein à la une
Et qui se caille aux mots croisés ;
« France soir », « Le Monde » et la fortune,
Devant des mecs qui n’ont pas bouffé.

Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme aux alentours
À faire se lever l’amour,
Des fois qu’on le vendrait aux surplus.

Des pères Noël grandeur nature
Qui ne descendent plus que pour les parents
Pendant que les gosses jouent les doublures
En attendant d’avoir vingt ans.
Toupies qui tournent au quart de tour,
Bonbons fondants, bonheur du jour,
Et ces mômes qu’en ont plein les bras
À lécher la vitrine comme ça.
Des soldats de plomb qui font du zèle,
Des poupées qui font la vaisselle,
De drôles d’oiseaux en équilibre
Pour amuser les tout petits ;
À l’intérieur, la vente est libre
Pour ceux qui s’ennuient dans la vie.
Des merveilles qu’on ne peut pas toucher
Devant des mecs qui peuvent entrer.

Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme dans les yeux
À rendre aveugles tous les gueux
Des fois qu’ils en auraient trop vu.

Jambon d’York, garanti Villette,
Des alcools avec étiquette,
Crème à raser les plus coriaces :
« Où l’on m’étend, le poil s’efface »,
La gaine qui fond sous les caresses,
Le slip qui rit, le bas qu’encaisse,
L’escarpin qui use le pavé,
Les parfums qui sentent le péché,
Des falbalas pour la comtesse,
Des bandes en soie pour pas que ça blesse ;
Du chinchilla, de la toile écrue,
Il faut vêtir ceux qui sont nus.
Des pull-overs si vrais qu’ils bêlent,
Des vins si vieux qu’ils coulent gagas,
Des décorations qu’étincellent
Devant des mecs qui n’en veulent pas.

Les vitrines de l’avenue
C’est mes poches à moi quand je rêve
Et que j’y fouille à mains perdues
Des lambeaux de désirs qui lèvent.



Pagina principale CCG

Segnalate eventuali errori nei testi o nei commenti a antiwarsongs@gmail.com




hosted by inventati.org