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Montémé

Marco Valdo M.I.
Langue: français



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Chanson française – Montémé – Marco valdo M.I. – 2012


Montémé, Montémé, cela me rappelle bien des choses, dit Lucien l'âne en tournant la tête pour manger une branche de saule. Mais je n'arrive plus trop bien à savoir quoi. Sans doute, s'agit-il de ce Mont-Aimé de Champagne où je gambadais autrefois, quand d'Ay, je m'en allais retrouver une bergère à Vertus. Elle me disait quand je descendais la colline d'un pas sautillant de ce trop de printemps qui me tenait au ventre, elle me disait « Ô mon aimé ! », ma bergère pleine de vertus.

J'aime beaucoup tes sympathiques remembrances, mon ami Lucien l'âne et j'imagine fort bien ton émoi. Cependant, si ma chanson parle bien de ce Mont-Aîmé-là, de ce Moïmer comme on dit là-bas, elle n'est pas aussi primesautière que tes aventures anciennes. C'est une terrible histoire de guerres et aussi, le souvenir d'un holocauste, la fin du premier Empire français, la venue du Tzar de toutes les Russies et l'annonce de la fin de l'Empire russe. On y trouve aussi des choses plus réjouissantes comme de grandes beuveries et une prêtresse nue.

Tout ça dans une si petite chanson ? Je ne peux y croire...

Alors, je te détaille les choses, mais bien entendu de façon succincte. Car, vois-tu, Lucien l'âne mon ami, comme je te l'ai déjà dit, une chanson n'est pas un cours d'histoire, ni un traité encyclopédique, ni rien de ce genre. De plus, une chanson demande à l'imagination de celui qui l'écoute de faire certains efforts... Elle ne se livre pas toute comme ça... Elle aime l'intelligence et elle la sollicite. Mais venons-en quand même à quelques éclaircissements. En premier, ce soleil rouge qui surgit en ayant dans l'oreille le mot de Cambronne, qui est un mot du peuple, comme tu le sais, toi qui comme moi, doit l'user et l'entendre quasiment tous les jours. Je ne crois pas inutile d'insister sur tout ce que ce « merde » a de symbolique. Je te rappelle en une anecdote rapide que Cambronne, qui devait ménager – suite à la défaite – les occupants de la France et le roi qu'ils avaient réinstallé sur son trône, répondait quand on lui demandait s'il avait vraiment prononcé ses mots héroïques en réponse à la provocation des Anglais : « Vous rendez-vous ? » : « La garde meurt et ne se rend pas » et ensuite, en réponse à la même question : « Vous rendez-vous ? », il avait tout simplement dit : « Merde ! ». Cambronne donc, pour ménager la chèvre et le chou, répondait : « Je n'ai jamais pu dire : « La Garde meurt et ne se rend pas », puisque voyez-vous : « Je ne suis pas mort et je me suis rendu ».


Oh, je comprends sa réponse, d'autant que je sais qu'il l'a vraiment craché ce boulet-là ; je m'étais réfugié dans un bosquet voisin et j'ai tout entendu. Et puis, on peut l'interpréter de diverses façons... ce fameux « Merde », lancé aux Anglais. Je m'explique. Ce pouvait être : Merde, on n'a plus de balles, Merde, ils sont trop nombreux, Merde, je suis blessé, Merde, on meurt vraiment, Merde, cette guerre me fait chier... Peut-être faudrait-il écrire la litanie de Cambronne...

Pour les Puissances, je te renvoie à tes souvenirs d'histoire... Les troupes contre-révolutionnaires vont en effet envahir Paris... et ramener la monarchie. Cette fois, ces loups ne sont pas entrés par Ivry ou par Issy, comme les loups chantés par Reggiani, mais bien par Saint-Denis...

C'est normal quand on vient du Nord, dit l'âne Lucien.

Ensuite, Alexandre est bien entendu l'empereur de Russie, le tzar, tout heureux d'envahir Paris, d'occuper l'Élysée et qui va fêter ça par un grand défilé militaire... 350.000 soldats... Et où ça ? Sur le Montémé, là-bas en Champagne. À l'endroit qui est aujourd'hui nommé Bergères-de-Vertus. Pourquoi ? Comment a-t-il voulu obstinément faire ce rite de victoire à cet endroit, à 2500 kilomètres de Moscou ? Que savait-il du Montémé ? Que savait-il des Cathares, lui, l'orthodoxe, féru de religion ? Pour l'anecdote aussi, nous sommes en Champagne, dans un pays de vignes et de vin... La soldatesque russe ne va pas se priver d'en boire, d'en boire tant que le fait est toujours présent dans un refrain populaire, deux cents ans après,

« Buveurs de Moscovie, partirez-vous ?
Nous boirons bien notre vin sans vous. »

Ensuite, toute la fin de la chanson tourne autour du Montémé lui-même, de sa signification et de l'élimination par l'Église catholique à coups de délations, d'intimidations, de rafles, de prisons, de meurtres, d'incendies, de bûchers, de massacres, de croisades de la religion concurrente des Cathares. Le Montémé est un témoin très important de cet « ethnocide ». D'abord, car les Cathares y étaient présents – Aubri dixit – depuis environ huit cents ans, depuis l'arrivée de Fortunat, prêtre manichéen, chassé par Augustin, lui-même manichéen retourné, le prototype du traître. Sache par exemple qu'en l'An Mil, à Vertus, Leutard développait les thèmes manichéens et cathares et y ajoutait une contestation sociale fort populaire et le refus de payer l'impôt à l'Église... Ce qui était somme toute logique. Pour cela, on l'a traité de fou hérétique (actuellement, on dirait terroriste...), puis on l'a emprisonné et ensuite, pour être bien sûrs, on l'a suicidé dans le puits de Vertus, dit « puits de Saint-Martin ». La guerre d'extermination des cathares ne s'est pas arrêtée pour autant, on continua à brûler de l'hérétique et à Montémé, en 1239, on en fit un énorme bûcher. Pour situer également l'extension de cette guerre que la catholicité fit aux Cathares, Montségur, autre massacre, autre bûcher, se déroulera à l'autre bout de la France, dans les Pyrénées. Cette guerre d'extermination se poursuivit dans les Alpes... Ce fut une grande fête en présence de moult évêques, prêtres, curés, doyens, chevaliers et dames de la noblesse... à l'instigation et sous la houlette de Thibaud de Champagne. L'affaire dura plusieurs jours de suite. On avait pris au marché de Provins dans une rafle six cents « suspects », la plupart dénoncés par un ancien cathare dénommé Robert le Bougre, dit le « marteau des Cathares »... On brûla vifs les 183 qui ne voulurent pas abjurer.

Tu sais, Marco Valdo M.I., mon ami, pour ce qui est d'une doctrine qui repose sur interprétation des mondes à partir du bien et du mal... J'en ai connu depuis fort longtemps de ces doctrines, moi qui parcourait le monde depuis tant de temps. J'en ai connu jusqu'au fond des Indes, à Babylone, en Égypte, dans la Grèce d'Ionie ; on m'en parlait dans les mystères auxquels, je te le rappelle, j'ai été initié... Une telle religion précède et de loin l'apparition du catholicisme... Cela dit, l'ancienneté d'une religion ne la rend ni meilleure, ni pire, ni plus véridique... Deux choses encore, qu'est-ce que cette prêtresse et qu'est donc ce soleil rouge ?, dit l'âne Lucien, tout entier pris par sa curiosité...

Comme tu as pu t'en rendre compte, toi qui as parcouru le monde et son histoire, toi qui connais les civilisations paysannes et fondamentalement, païennes, la sorcière est la plus redoutable partisane de la résistance aux simagrées thaumaturgiques de l'Église. Elle, la sorcière, soigne vraiment les gens, elle les console vraiment du malheur, elle est aussi la femme – personnage sulfureux par excellence. Elle est femme, mais ce n'est pas une vierge aseptisée. Elle détient un savoir et un savoir-faire. Elle est aussi redoutable en ce qu'elle est celle qui accompagne vraiment le dernier sommeil. Elle est l'acabadora. En plus, cette femme qui danse nue magnifie la nudité et le corps humain, que l'Église n'aura de cesse à travers les siècles de vouloir dissimuler et déprécier ... Domestiquer le naturel pour magnifier quoi ? Pour le forcer à quoi ? À respecter la puissance et la richesse, tout simplement. Quant au soleil rouge, c'est l'embrasement de la nature, l'embrasement populaire, la lumière des belles journées de la vie dans toute sa quotidienneté.

Certes, cela me rappelle une sentence que je t'ai souvent entendu prononcer, qui dit : « Au matin du grand soir, le coq rouge pondra l'œuf noir »... et l'histoire de la prêtresse-sorcière, femme promise au bûcher, comme les Cathares et les pauvres amis de Valdo, m'en rappelle une autre de tes sentences, que nous évoquons souvent ici : « Noi, non siamo cristiani, siamo somari ». Et nous, pour mettre fin à la domination qui contraint les pauvres au travail et qui justifie cette exaction en serinant aux pauvres ces paroles de riches : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », « et moi aussi, dit le riche, je gagnerai mon pain à la sueur de ton front », nous n'usons pas de la torture, ni du bûcher. Nous usons de la parole pour tisser le linceul de ce vieux monde, religieux, obscène, emberlificoteur et cacochyme.


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Le soleil rouge résonne
Encore du mot de Cambronne
Les Puissances sont entrées
Comme des loups par Saint-Denis
Alexandre occupe l'Elysée
Pour fêter la victoire de son Moscou-Paris
Au pied du Montémé, un lieu bien éloigné
Durent défiler
Raides et de neufs vêtus
Trois cent cinquante mille soldats
Lentement marquèrent le pas
Et des générations de gens de Vertus
Buveurs de Moscovie, partirez-vous ?
Nous boirons bien notre vin sans vous.
La prêtresse se dénudait dans le couchant
Sa jument portait tous les tourments
Alexandre, ange de lumière
Au sommet du Moïmer
Cinq jours sur le mont bizarre
Médita sur l'holocauste des Cathares
Et la fin prochaine des tzars.
Enfin, le soleil rouge éclate dans le soir.

envoyé par Marco Valdo M.I. - 14/4/2012 - 20:01




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